« Son
excellence Monsieur le Président de la République, (Je citai ensuite tous les autres
officiels.)… chers amis jeunes, (Une nouvelle envolée de hourras m’obligea à
interrompre pendant quelques secondes mon propos.) c’est un honneur
incommensurable pour moi de prendre la parole en ce jour anniversaire de notre
pays. Notre chère Côte d’Ivoire a aujourd’hui cinquante ans et je me réjouis de
tout l’engouement qu’il y a autour de cet événement. Cinquante ans dans la vie
d’une nation, c’est un bel âge pour faire le bilan. Au-delà de toute cette
atmosphère festive, il importe en effet de jeter un regard rétrospectif sur la
marche de notre pays. C’est le lieu de saluer la mémoire du Père fondateur qui,
à travers des choix certes pas toujours unanimes, mais judicieux et parfois
pragmatiques, a jeté les bases d’une Côte d’Ivoire forte et prospère. (Le
moment le plus important de mon discours était arrivé : là où les autres
s’étalaient en dithyrambes à l’endroit du Président de la République, moi,
j’allais passer à l’offensive.) Mais, qu’avons-nous fait de l’héritage du
« vieux » ? demandai-je à brûle-pourpoint en haussant
volontairement le ton. Qu’on m’excuse si je peux paraître rabat-joie, mais
c’est pour trouver la réponse à cette question fondamentale que la jeunesse
ivoirienne m’a donné mandat pour parler et agir en son nom. (La clameur qui
s’éleva depuis le pont était sans précédent de toute ma mémoire de défenseur
des droits. A l’inverse, les officiels assis à quelques mètres devant moi
affichaient des mines inquisitrices.) Vous dites des jeunes de ce pays qu’ils
sont irresponsables, qu’ils sont immatures, qu’ils sont fous… Tout cela est
peut être vrai. Mais, ces qualificatifs ne valent-ils pas également pour
vous ? (Echange de regards choqués aux premiers rangs contrastant avec la
frénésie des jeunes. J’avais en tout cas décidé de profiter de cette tribune inespérée
pour dénoncer avec la dernière énergie l’attitude trop souvent égoïste de nos
dirigeants. Et ceux qui disaient m’apprécier pour ma courtoisie allaient devoir
pendant un moment se faire à la manifestation – heureusement assez rare – de ma
bête intérieure.) Croyez-vous être mieux que nous ? poursuivis-je, la
langue plus débridée que jamais. Ne nous avez-vous pas appris ces dernières
années que la conquête ou la conservation du pouvoir par tous moyens passait
avant les intérêts nationaux ? D’ailleurs, puisque vous aimez tant faire
de l’histoire, au moment où le peuple était inconsolable au soir du 7 décembre
1993, ne battiez-vous pas quant à vous tous les records olympiques de vitesse
pour vous précipiter au palais vous disputer le pouvoir ? Qu’avez-vous ensuite
fait du prestige, de la renommée de notre pays ? De terre de paix, nous en
sommes bien arrivés aujourd’hui à une véritable jungle. Oui, en l’espace de
quelques années, nous avons connu quasiment tout ce que ce monde renferme comme
horreurs. Coups d’Etat, rébellions, conflits armés, escadrons de la mort,
charniers, assassinats, enlèvements,… La liste, vous la compléterez vous-même.
Tout ce pacifisme qui nous différenciait de tant de nations et qui nous valait
le respect du monde entier s’est envolé d’un seul coup sans doute pour
rejoindre son initiateur. Par vos actes, vous avez bien montré au Père fondateur
de la nation que vous n’aviez cure de sa culture de la paix. Cela ne vous
paraît-il pas en effet paradoxal qu’il existe un prix international pour la
recherche de la paix du nom de notre premier Président et que justement le pays
qu’il nous a laissé soit aujourd’hui en proie à des actes belliqueux ?
Apparemment, vous n’avez pas encore eu le temps d’y réfléchir. Au contraire,
pour vos intérêts personnels, vous ne savez faire des ivoiriens que des
martyrs. Et pour nous qui avons la chance d’être encore en vie, l’avenir est on
ne peut plus ombrageux. Avez-vous jamais appris que politique et humanisme sont
deux notions qui ne s’excluent pas forcément ? Sinon, essayez à tout le
moins de concilier vos fonctions avec l’intérêt suprême de la nation qui est
censé les sous-tendre. Trop de sang a coulé pour rien dans ce pays. Et
croyez-moi, le sang des innocents finit bien souvent, on a d’ailleurs pu le noter
déjà sous d’autres cieux, par réclamer celui de ceux qui le répandent. J’ose
espérer que dans notre cas, la guerre de laquelle nous sortons aura vu couler
les dernières gouttes de sang que cette terre absorbera jamais aussi
gratuitement. Ce cri de cœur est bien entendu valable pour ceux des Etats
africains ici représentés où la violence est devenue le mode d’acquisition par
excellence du pouvoir. Quant à ceux qui n’ont jamais fait la sombre expérience
de la guerre, j’espère qu’ils s’en garderont à tout jamais, car il n’y a que
ceux qui ont connu la guerre qui savent le mieux le prix de la paix. (Le
conciliabule que je vis alors au bas du podium entre les préposés à
l’organisation et les membres de la sécurité me fit me dire que mon temps de
parole était certainement épuisé. Ou plutôt, c’est la trajectoire de mon propos
qui dérangeait. Dans tous les cas, je n’entendais pas lâcher le micro sans
avoir exprimé tout le fond de ma pensée. Là-dessus, les plus observateurs
avaient sans doute remarqué que depuis la « déviation » de mon
discours, j’avais abandonné mes papiers, ne parlant plus qu’avec le cœur.
D’ailleurs, mes collaborateurs qui avaient une copie du texte initial devaient
être plus que déroutés.)
Par ailleurs,
votre insouciance sur le terrain politique influe plus ou moins directement sur
les autres domaines de la vie de l’Etat. Qu’est en effet devenue notre
économie ? De notre état de relative bonne santé financière dans les deux
premières décennies de notre indépendance, nous en sommes aujourd’hui, sinon
dans le coma, à tout le moins sous sérum. Comment en sommes-nous arrivés
là ? Certes, et c’est l’argument qu’on nous brandit depuis des siècles,
les grandes puissances et les organisations internationales y sont pour quelque
chose. Cela a indubitablement une part de vrai et là-dessus, messieurs le
Directeur Général du FMI et le Président de la Banque Mondiale ici présents, pour
ne citer qu’eux, ne nous diront pas le contraire. Mais, nous peuple ivoirien et
peuple africain en général n’en sommes pas plus excusables. Si on a réussi à
nous mettre sur la potence, c’est parce que nous avons nous-mêmes fourni la
corde, mais en plus gentiment offert le cou. A la lecture des divers accords
économiques signés par nos Etats avec l’Occident, on a tous la même exclamation :
quel manque de vigilance ! Ou tout simplement, que de manque de caractère,
de réaction voire de bon sens ! Plus largement, si la mondialisation nous
évite de vivre en autarcie en nous connectant au reste du monde et donc à
l’évolution, il nous importe d’ouvrir davantage les yeux sur les pièges qu’elle
recèle. Coopération d’accord, mais prudence d’abord. (Assis au second rang, monsieur
le ministre français des affaires étrangères en fut saisi d’une brusque quinte
de toux.) De nombreux Etats, notamment asiatiques, qui d’ailleurs étaient à la
traîne il y a quelques décennies, ont pu s’en tirer à bon compte. Pourquoi pas
nous ? Arrêtons maintenant d’accuser les blancs qui n’ont su que profiter
de nos propres turpitudes. On va même jusqu’à rendre le bon Dieu responsable de
nos malheurs…, observai-je avec un triste sourire. Il est temps de se remettre
en cause, car les origines de notre marasme économique sont aussi et surtout
endogènes. Que de ratés en effet dans la planification de nos stratégies de
développement ! Comment voulez-vous que nos produits d’exportation
acquièrent réellement de la valeur ajoutée si aucune politique viable
d’industrialisation n’est pensée a fortiori mise en place ? J’ai mal de
voir que les ivoiriens, premiers producteurs de cacao au plan mondial, achètent
hors de prix les produits qui en dérivent alors que les occidentaux, dont
plusieurs d’ailleurs n’ont jamais vu de toute leur vie une fève de cacao,
bénéficient en la matière de conditions plus avantageuses. Par ailleurs,
qu’est-ce qui nous empêche tant d’intensifier la coopération sud-sud ? De
toute évidence, les pistes sont nombreuses pour nous remettre sur les rails de
la croissance et en la matière je ne suis pas plus avisé que les éminents
économistes que comptent nos pays. Mais trop d’idées ont été émises qui sont
restées dans les tiroirs. Il est temps de faire preuve de plus de volonté. Et
passer à l’action suppose que nous nous débarrassions au préalable de ce
coriace adversaire qui nous maintient les mains dans le dos : j’ai nommé
la corruption. (Les jeunes gens poussèrent de nouvelles clameurs tandis que mes
interlocuteurs immédiats n’en finissaient pas de rajuster qui leurs cravates,
qui leur position dans les fauteuils rembourrés. D’ailleurs, alors que j’allais
entamer le développement du fameux sujet, je vis un homme en costume gravir
lestement les marches de l’estrade pour foncer sur moi. Mais, persuadé qu’on
n’oserait pas me jeter du podium devant toutes les caméras nationales et
internationales qui retransmettaient la cérémonie en direct, je résolus de ne
me soucier aucunement de cette intervention.)
- Monsieur,
veuillez conclure, fit-il en se penchant à mon oreille, sur un ton qu’il
voulait sévère.
Je n’allais
sûrement pas m’arrêter en si bon chemin…
- La
corruption est l’un des maux, sinon le plus grand mal qui gangrène non
seulement notre économie, mais toute notre vie, martelai-je sans le moindre
regard pour l’agent de sécurité qui, embarrassé, finit par redescendre sans
doute pour aller chercher du renfort ou à tout le moins demander de nouvelles
instructions. Et il nous appartient, vous les premiers, de tout mettre en œuvre
pour éradiquer ce fléau. Trop de détournements de deniers publics, trop de
rackets sur nos routes et à nos frontières, trop de pots-de-vin et de dessous-de-table
dans nos administrations… Le tout sur un beau fond d’une impunité basée
elle-même sur des immunités qu’on se forge bien trop souvent en marge des
dispositions légales. Et la loi, Dieu seul sait si nos magistrats en sont
vraiment les gardiens… enchaînai-je pour savourer ma petite victoire sur le service
de sécurité.
Bref, au delà
de ce tableau politico économique des plus sombres, le constat sans doute le
plus alarmant réside au niveau social, car si le peuple est dans toute
démocratie l’incarnation du pouvoir constituant originaire, les peuples
africains en général ne servent que de souffre-douleur aux gouvernants. Comment
pouvez-vous mépriser de la sorte ceux pour qui vous prétendez exercer le
pouvoir ? (A défaut d’une réponse à cette question, j’obtins de nouvelles
clameurs d’encouragement.) Essayez par moments de vous rappeler sinon la
totalité, au moins l’essentiel vos promesses électorales. Ce peuple qui vous a
donné mandat pour le diriger n’a sûrement jamais demandé le sort qui est le sien
à l’échelle du continent. Ici, nous ne demandons pas la dolce vita, mais un minimum de dignité dans nos vies quotidiennes.
Ici nous voulons vivre et non plus survivre. Arrêtez donc de vous servir du
peuple au lieu de le servir comme vous le promettez sans cesse avec tant
d’emphase. (Le volet social était à n’en point douter le plus préoccupant, car
toutes mes phrases étaient à présent ponctuées de hourras des plus fanatiques.)
Nous avons besoin de centres de santé non seulement en quantité, mais de
qualité. Nous ne supportons plus, surtout dans nos campagnes, de voir mourir
nos parents entre nos mains seulement parce que nous avons à les transporter
sur des dizaines voire des centaines de kilomètres avant le premier dispensaire.
Cela est inadmissible que seuls les fonctionnaires – et pas tous d’ailleurs –
bénéficient d’une assurance maladie alors qu’en sont privés les paysans qui
produisent plus de la moitié de la richesse nationale ainsi que les autres
catégories sociales dont les artisans, les élèves et étudiants ; tous ces
infortunés constituant d’ailleurs la quasi-totalité de la population nationale.
Nous exigeons également davantage d’infrastructures dont prioritairement des
routes, car comme on a coutume à le dire : « La route précède le
développement. » Permettez à nos parents paysans d’écouler plus facilement
leurs produits en désenclavant nos villages. Nos agglomérations ont besoin
d’être approvisionnées en eau potable. Les maladies hydriques font beaucoup
trop de victimes parmi nous pour que nous continuions à créer les conditions de
leur propagation. Dans la même optique, nous revendiquons un environnement plus
sain, car de tous les produits vitaux dont a besoin notre organisme, l’air est
à n’en point douter le seul qui soit à la portée de tous. Organisez alors un
enlèvement et un recyclage plus efficaces des ordures ménagères et industrielles pour que nous ne
respirions plus à longueur de journée ces horreurs nauséeuses. D’ailleurs, les
immondices d’ordures n’ont rien de décoratif. Et si vous pensiez le contraire,
c’est que vous manquez cruellement de goût. Nos villes et nos villages ont
aussi besoin d’être électrifiés. Comment comprendre que nous ayons tant de
barrages hydroélectriques pour ne citer que cela et que nous soyons pour la
majorité encore à nous chercher dans le noir ? Pire, nous même qui nous
croyions jusque là à l’abri des ténèbres devons composer aujourd’hui avec sans
doute le pire délestage que notre pays n’ait jamais connu. D’autre part, et
cela est incontournable, les enfants de Côte d’Ivoire veulent aller à l’école.
(Après cette énième exigence, j’entendis malgré la relative distance me
séparant de la lagune, des voix scander mon nom. Mon propos devait leur sembler
un discours de campagne électorale. D’ailleurs, d’après les regards des dirigeants
de partis politiques que je pouvais apercevoir, ceux-ci me considéraient
certainement comme un hypothétique adversaire pour les futurs combats
électoraux. Quoi qu’il en fût, je n’avais guère d’intérêt pour des postes susceptibles
d’altérer mon jugement et mes convictions personnelles. Tout ce qui
m’importait, c’était de remettre à la lumière du jour des questions qu’on
tentait perfidement de faire basculer dans l’ombre.) « L’éducation, disait
un sage, est la clé du développement humain et de la construction de l’avenir.
Si riche que puisse être une nation, si ses citoyens ne reçoivent pas
d’éducation, elle n’a pas d’avenir. » Il faudrait pour ce faire construire
plus d’écoles et au surplus reformer le système éducatif lui-même depuis la
maternelle jusqu’au supérieur pour une école plus performante. Que les acteurs
du monde éducatif prennent leurs responsabilités. Que les professeurs par
exemple se contentent d’assumer leur fonction d’enseignement au lieu de donner
dans le mercantilisme. Mon neveu me confiait récemment qu’à l’oral du
baccalauréat, l’un des examinateurs lui a proposé la note de 15/20 contre la
somme de cinq mille francs. (Sur ces mots, des murmures houleux s’emparèrent de
l’assistance.) Où est donc passé ce culte de l’excellence, de la
méritocratie ? N’y a-t-il donc plus de place dans ce pays que pour le
mieux offrant ? Quelle est donc cette école qui, plutôt que le temple du
savoir, tend à en devenir celui de la médiocrité et de la complaisance ? Il
faudra également trouver la meilleure adéquation possible entre la formation et
l’emploi. Avez-vous idée du nombre de jeunes titulaires pour la plupart de
diplômes universitaires, mais qui sont réduits, pour les plus vertueux, à
exercer des métiers informels ? Vous en avez sans doute connaissance. Mais
ce qui est certain, c’est que vous n’en avez cure. Vous êtes pourtant prompts à
dire non sans une hypocrisie mal déguisée que l’avenir appartient à la
jeunesse. Mais, quel avenir entendez-vous nous confier lorsque nos conditions
d’études et d’insertion sont si calamiteuses ? Croyez-vous que vous seriez
là aujourd’hui, dans les fonctions que vous occupez, si l’on vous avait traité
de la sorte pendant et après votre formation ? Si vous voulez que nous
prenions valablement la relève, il faudra veiller à nous en donner les armes en
créant non seulement le cadre mais aussi les conditions d’une formation de
qualité. Bien sûr, on nous dira que l’Etat ne peut pas employer tout le monde.
Créez alors les conditions de l’émergence d’un secteur privé plus conséquent,
voire d’un solide partenariat Etat-Privé. De même, l’on devra plus frontalement
envisager la question de la réintégration ou de la reconversion des jeunes non
scolarisés ou déscolarisés. Cela, en plus de participer au dynamisme de la
société nous évitera pas mal de vices. Cela dit, je ne saurai achever mon
propos sans m’adresser à vous, mes amis jeunes. (Les hourras en retombèrent
d’un seul coup. Mais je n’en étais pas moins déterminé à être impartial. Il
fallait absolument mettre chacun face à ses devoirs.) L’avenir nous appartient,
dit-on. Mais est-ce avec le comportement
qu’on nous connaît que nous rendrons le futur radieux ? Sûrement
pas. Arrêtons alors de donner raison à ceux qui nous traitent d’irresponsables
et même de dangereux. Il est temps de faire preuve de plus de maturité. Quels
sont ces élèves et étudiants qui œuvrent, avec une imagination parfois
démoniaque, à démotiver ceux-là même qui ont à charge de leur inculquer le
savoir ? Quels sont ces jeunes pour qui la violence est devenue le mode le
plus usuel de communication ? J’ai mal de voir aujourd’hui des jeunes
défier l’autorité et aller même dans certains cas jusqu’à s’y substituer. Quel
avenir croyons-nous que nous nous définissons lorsque notre premier réflexe est
de porter main à nos parents, à nos aînés, à nos compagnons ? Quel avenir
croyons-nous qu’il y a dans la drogue, l’alcool, la prostitution, la
criminalité, le vandalisme… et j’en passe ? Que gagnons-nous à nous
attaquer à la moindre occasion à la chose publique alors que nous en sommes les
premiers bénéficiaires ? Pourquoi nous plaignons-nous par exemple de
l’irrégularité des bus quand nous sommes prêts à y mettre le feu à la moindre
saute d’humeur ? A la vérité, c’est tout le système des valeurs qui est en
train de s’effondrer. S’il n’est d’ailleurs déjà dans la poussière… Si nous
aimons vraiment notre pays comme nous le prétendons tant, apprenons à faire
preuve d’un peu plus de civisme. Réfléchissons une seconde avant d’exécuter
tout ce qu’on nous demande et ne nous privons pas de faire usage en certaines
circonstances de notre esprit critique. Arrêtons de servir de bétail électoral
ou de « main d’œuvre » pour de sales besognes. Si demain nous ne
voulons pas faire pire que ceux que nous critiquons aujourd’hui, c’est dès maintenant
qu’il faut apprendre à bien s’orienter. La sagesse n’est pas une vertu qui rime
forcément avec les cheveux blancs, car comme le dit Le Cid de Corneille :
« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années… »
Donnons-nous donc de la valeur et on minimisera nos défauts… Bref, il faudrait
que nous méritions qu’on nous passe le flambeau sinon, croyez-moi, nos aînés
préféreront bien l’éteindre à défaut de ne plus pouvoir le porter. (Je pris
quelques secondes pour reprendre mon souffle. Au bas du podium, les hommes en
costume ne paraissaient plus vouloir m’en faire descendre. Dans le public même,
ce que je lus dans les regards me sembla tout sauf de l’impatience a fortiori
de l’antipathie.)
Nous serions
encore ici demain si on voulait faire le diagnostic complet de nos maux.
Néanmoins, je me devais d’en faire ressortir sans doute les plus saillants. Le
bilan de notre cinquantenaire, c’est hélas cela. Il faut saluer bien sûr les
efforts qui ont été faits et qui continuent d’être faits pour nous remettre
dans le sens de la marche. Mais tout cela demeure fort insuffisant et il reste
tant à faire. En gros, c’est à une prise de conscience collective que j’appelle
les ivoiriens et l’ensemble des africains. Ayons à l’esprit que les clés de
notre développement sont entre nos propres mains. Nous avons les faveurs de la
nature presque partout sur le continent. Nous avons en plus aujourd’hui des
ressources humaines à même de les mettre en valeur. Tâchons d’en tirer le
meilleur parti pour réduire voire rattraper notre retard sur le progrès. Ne
donnons pas raison à cet homme que j’ai entendu une fois dire que les africains
ont été créés pour distraire le monde, car il n’y aurait que sur le plan
culturel que nous ayons quelque chose à offrir. Tâchons de nous affirmer
désormais sur d’autres plans. La Côte d’Ivoire des cinquante prochaines années
doit absolument être aux antipodes de celle d’aujourd’hui. A l’horizon 2060,
l’Afrique toute entière ne doit plus ressembler à ce fatras de vices, de fléaux
et de calamités. Sinon, la rancœur de nos descendants nous rattrapera même dans
nos tombes.
Je tiens enfin
à signaler que tout ce que j’ai pu dire à ce micro n’est destiné à servir
aucune cause politique. Je ne suis ni l’émissaire ni l’ennemi de personne. Mais
je me devais en tant que porte-parole de la jeunesse de dénoncer tout ce qui
hypothèque notre avenir, car j’espère pour ce pays des lendemains meilleurs.
Pardon si j’ai un peu gâché la fête. Vive la Côte d’Ivoire indépendante. Vive l’Afrique. Je
vous remercie.
Extrait de "Pour des lendemains meilleurs", in 50 ans d'indépendance de la CI en 10 nouvelles, Fratmat éditions, Abidjan, 2010.
Extrait de "Pour des lendemains meilleurs", in 50 ans d'indépendance de la CI en 10 nouvelles, Fratmat éditions, Abidjan, 2010.
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