Après le parcours commun depuis le préscolaire (pour certains), le primaire et le collège, chacun d'entre nous a dû être orienté en 2nde A ou C. La raison en est que durant ce parcours, chaque élève a pu développer des aptitudes soit en littérature, soit en sciences. Dans mon cas, le choix de la littérature s'est imposé dès mes premiers pas à l'école, au CP1.
Étonné ai-je alors été de voir des amis et aînés du quartier s'esclaffer lorsqu'ils ont appris mon orientation en 2nde A après mon admission au BEPC. Oui, je les revois en train de me chambrer : "Qu'est-ce que tu vas faire dans cette série pour filles ? Les vrais garçons font la série C, car ils n'ont pas peur des maths, des sciences physiques, etc." Je n'en revenais vraiment pas de constater que ce qui apparaissait comme une évidence pour moi depuis mes classes primaires eût pu faire l'objet de moquerie.
A leurs arguments, j'aurais pu rétorquer par exemple que bien au contraire la série littéraire est réservée à ceux qui n'ont pas peur d'affronter les difficultés de la réflexion. Car, en A il faut en effet apprendre à réfléchir par soi-même plutôt que de se contenter de plaquer des formules et propriétés élaborées depuis même avant JC. Pour preuve, 1+1 a toujours fait et fera toujours 2 dans un milliard d'années, tout simplement parce que quelqu'un en a décidé ainsi un jour. De même, a2
+ b2 = c2 parce qu'un certain Pythagore l'a dit un jour autour d'un repas. Par contre, l'idée qu'on se fait de telle ou telle question a toujours été et sera toujours loin de faire l'unanimité - déjà même qu'on peut, à son seul niveau, remettre en cause ses propres idées sur un sujet donné. J'aurais donc pu leur dire que c'est plutôt la série C qui est faite pour les paresseux. C'est pourquoi par exemple un élève digne de ce nom ne peut échouer deux fois au bac C ou à son dérivé de D, tandis que j'en ai vu faire jusqu'à huit fois le bac A parce justement rien n'est jamais acquis en littérature. Bien plus simple, vous ne verrez jamais ou que très rarement un élève obtenir 20/20 en français, en philo, en LV1&2 ou en histoire-géo - à moins peut-être qu'il s'agisse d'un QCM... Là où les bons élèves en sciences sont susceptibles d'avoir 20 en note et même en moyenne parce qu'ils auront juste repris les démonstrations de gens dont on ne retrouve même plus les ossements.
Face à leurs rires de demeurés, j'aurais pu leur répondre tout ça. Heureusement - et c'est sans doute l'avantage d'être un littéraire, finalement - je réfléchissais déjà à l'époque. C'est pourquoi je savais par exemple que c'est la diversité des savoirs et des compétences qui fait l'équilibre de ce monde. Et qu'il n'y aurait pas d'avions, de ponts, de machines, de vaccins, etc si tout le monde était littéraire... Inversement, les actions des gouvernants, le fonctionnement de l'administration publique et/ou des entreprises privées n'aurait pu être possible si on avait tous l'esprit carré des scientifiques. La pensée collective même n'aurait jamais évolué si on était tous scientifiques. Ne dit-on pas justement que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" ? (Ah si ! pour le savoir, il aurait fallu être attentif au cours de philo.) La morale de l'histoire - pour ce que j'en pense en tout cas - c'est que dans le domaine de la connaissance, il vaut mieux admirer quelqu'un pour ce qu'il a de plus que vous plutôt que de vouloir le ridiculiser pour ce que vous avez de plus que lui.
Pour ma part, je peux être fier de moi aujourd'hui pour ne pas avoir pris au sérieux toutes ces calembredaines. Car j'ai pu démontrer tout au long de mon parcours que je suis un vrai homme, bien qu'ayant fait une 2nde A. En toute modestie, je peux dire - et les autres le disent mieux que moi - que j'ai été l'élève et l'étudiant le plus brillant de ma génération. Et par l'ironie du sort, j'ai pu, en dépit de mon parcours de littéraire, atterrir dans un fauteuil de cadre du Trésor Public - là où les chiffres règnent pourtant... Je comprends donc pourquoi j'ai pu être aussi serein le jour où ces gens se moquaient de moi : je suis plus complet que j'en ai l'air ; une espèce de mutant entre le littéraire et le scientifique... Bref ! en même temps, la vantardise c'est pas pour moi.
Pour clore donc ce débat ridicule, rappelez-vous d'une part que les cours de maths et de sciences physiques se font en français (il existe même des exercices de maths où le décodage du langage constitue le plus gros piège) et que d'autre part chacun peut être heureux d'avoir fait les maths lorsqu'il compte son argent.
Par dessus tout, moi je suis plutôt soulagé d'avoir une âme de littéraire. Car plus un scientifique est brillant, plus il a tendance à se prendre pour Dieu...
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