dimanche 22 décembre 2013

Une affaire de plastique...

Contre toute attente, il vient d’apercevoir Raïssa au bas de son immeuble. Avec la nuit qui tombe, il espère que c’est vraiment elle. Sans hésiter, il fonce.
- Raïssa ! interpelle-t-il pour voir.
Elle se retourne aussitôt, le dévisageant.
- Ça alors ! Dis donc, ça fait un bye hein, remarque-t-elle, souriante.
- A qui la faute ? C’est bien toi qui m’as zappé, dit-il en s’approchant.
Ils se font la bise.
- C’est vraiment une belle surprise. Que fais-tu par ici ?
- J’habite dans l’immeuble juste devant toi.
- Ah, t’as déménagé ! C’est ce qui t’a fait disparaître de la circulation alors.
- Non, sois honnête. C’est toi qui m’as toujours refoulé.
- Peut-être bien, reconnaît-elle. D'ailleurs, tu sais quoi ? Je vais me racheter. Allez, tu me fais voir chez toi ? dit-elle en marchant déjà vers l’immeuble.
Agréablement surpris, il la rattrape. Deux ans déjà qu’il lui fait des avances infructueuses… Il a même connu l’humiliation de lui payer le taxi alors qu’elle allait voir son copain. Ce jour-là, ses amis auraient été responsables de sa mort si la moquerie tuait. Et voilà qu’aujourd’hui, le hasard les faisait se rencontrer. Occasion à ne pas rater…
- Alors, t’allais où de ce pas ? lui demande-t-il pendant qu’ils prennent l’escalier.
- Je rentrais chez moi.
- Toi aussi t’habites ici maintenant ?
- Non, je suis toujours là où tu m’as connue. Je suis venue voir une amie et je me rendais à la gare.
- O.K. Bon, on y est là.
Il lui ouvre la porte du studio.
- Voilà, entre et fais comme chez toi.
- Waouh, pas mal ! s’extasie-t-elle. Dis donc, t’as un nouveau job ou quoi ? demande-t-elle en admirant l’ameublement. Vraiment sympa, ton appart.
- Merci. Assieds-toi, invite-t-il en lui désignant le canapé.
Après, il allume la télé en prenant le soin de sélectionner l’une des chaînes qui plaisent aux filles. Ensuite, un rafraîchissement. Puis l’ambiance se détend…
- Elle en a de la chance, ta petite amie.
La phrase habituelle pour s’ôter le doute en « la matière ».
- A ton avis, que ferais-je tout seul ici un week-end si j’en avais une ?
- Quoi, t’as toujours personne dans ta vie ? s’étonne-t-elle.
- Bah non, ma jolie. Je continue de t’attendre depuis le temps que tu m’envoies valser, plaisante-t-il.
- Ah ! Ben, je suis là maintenant, dit-elle avec comme un scintillement soudain dans ses beaux yeux clairs.
Il ne sait pas si elle plaisante également. Tout ce qu’il sait, c’est qu’elle exerce sur lui le même effet depuis le temps où ils se fréquentaient au quartier. C’est vrai qu’avec le clair-obscur de son teint rehaussé par la finesse caramélisée de ses traits, elle en laisse très peu indifférents.
Avec l’idée qu’il n’a plus rien à perdre et surtout qu’il a presque tout connu en termes de ridicule avec elle, il décide de tenter le tout pour le tout. Aussi s’approche-t-il ostensiblement d’elle.
- T’es sérieuse là ?
- Quoi ? Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle en se tassant dans le fauteuil.
- T’es là pour moi maintenant, t’as dit ?
- Mais je blaguais, voyons. On n’était même pas censés se rencontrer ce soir.
- Bah, le sort en a décidé autrement, observe-t-il sans relâcher la pression sur elle. D’ailleurs, ça fait trop longtemps que tu blagues avec moi. Il est temps de se parler franchement. Moi Je n’ai plus besoin de te dire à quel point tu me plais.
- Ecoute, pour être franche, tu présentes mieux que la dernière fois qu’on s’est vus. Je t’aurais même trouvé craquant si…
- Si ?
- Eh bien, si je ne t’avais déjà autant rejeté.
Ce n’était donc que pour une question d’orgueil, s’il comprenait bien. Non, elle n’allait pas s’en tirer aussi facilement cette fois.
- Si tu me trouves craquant, pourquoi donc continues-tu de résister ? demande-t-il en passant un bras cavalier autour de son cou.
- Je… Je sais pas comment te l’expliquer, bafoue-t-elle, prise au piège.
- N’explique rien alors, dit-il avant de l’enlacer complètement.
Les secondes d’après, les voilà en train de s’embrasser sauvagement. Le gars est déchaîné. Et Raïssa se découvre à présent, après son numéro de cache-cache sentimental. (Ah, les femmes ! Elles refusent toujours ce qu’elles vont finir par accepter.) Sachant qu’il n’en aura pas deux comme celle-là, il décide d’aller jusqu’au bout de l’occasion, glissant une main sous la robe. Aucune résistance ! Il n’en croit pas ses doigts, s’enhardissant. (Bon, je vous épargne les détails. Que ceux qui en redemandent attendent Les méandres de l’amour, Tome I à IV.) Toujours est-il que les moments qui suivent, ils se retrouvent tous deux pratiquement nus. Et c’est alors que, abruti de désir, il entreprend de passer à l’acte qu’il entend la phrase qui tue. « Attends, mets un préservatif ! » a-t-elle dit. Mais où donc veut-elle qu’un vieux « coagulé » comme lui aille trouver ce machin ? Cette exigence ne pouvait pas plus mal tomber. Mais elle a sans doute raison : on ne sait jamais…
Le voilà donc contraint d’appuyer sur pause.
- Attends, je reviens dans une minute, s’entend-il prévenir avant d’enfiler prestement son jeans.
Il sort en coup de vent, poursuivi par un gémissement plaintif de sa partenaire. Direction, la boutique d’à côté. Il aurait aimé faire plus soft, mais trop loin, la pharmacie. « Merde, y a trop de clients ! » murmure-t-il, gêné de demander le fameux accessoire devant tant de personnes. Il se met donc en retrait, bouillonnant d’impatience. Et dès qu’il n’y a plus personne, il se pointe devant la grille du mauritanien.
- Bonsoir, camarade. Une capote, s’il te plaît, demande-t-il, direct.
- C’est fini, mon ami. On vend plus ça, répond le barbu, serein comme lorsqu’il dit « y a pas monnaie ».
- Comment ça, on vend plus ?
- Tu n’es pas au courant ou bien ? On vend plus plastique dans pays-là.
« Quel analphabète, ce type ! » songe-t-il. C’est vrai qu’il a entendu parler de la nouvelle loi portant interdiction d’utilisation des sachets plastiques. Mais, à ce qu’il sait, ça concerne pas les préservatifs. Non, pas ce plastique là… Bref ! pas le temps de discuter avec ce type qui l’observe avec un regard moqueur en plus. Sur ce, il fonce à la pharmacie. Là-bas au moins, ils ont fait des études et savent ce que c’est que l’exposé des motifs d’une loi. Il y arrive au bout d’un temps interminable. Et là encore, il va devoir surmonter sa gêne, car c’est une ravissante jeune femme qui est à l’accueil.
- Bonsoir, madame.
- Monsieur, bonsoir.
- Euh… Pourrais-je avoir des… des préservatifs ?
Elle a automatiquement un petit sourire. C’est vrai qu’en le voyant débarquer avec autant de transpiration par cette nuit froide, elle a songé que soit il a une sacrée fièvre, soit il a un besoin assez urgent.
- Interdit à la vente, laisse-t-elle tomber sentencieusement. Vous n’êtes pas au courant ?
Il remue la tête, incrédule. Il a l’impression qu’il vient de passer un long moment hors du pays.
- J’ai raté un épisode ou quoi ? C’est donc sérieux, cette histoire ?
- Tout ce qu’il y a de plus sérieux, cher monsieur, poursuit-elle avec son même sourire qu’il sait à présent ironique. En fait, le plastique utilisé pour produire le condom est l’un des moins biodégradables. Il ne se détériore qu’au bout de deux cents ans…
- O.K. Merci, interrompt-il.
La dernière chose dont il besoin actuellement, c’est de recevoir un cours de physique-chimie…
Sans plus tarder, il sort, profil bas. Il aurait su cela qu’il aurait constitué un stock de ce foutu plastique. Et mille fois damnés, ces politicards qui décident de tout dans leurs petits bureaux sans jamais consulter le bas peuple. Ont-ils songé juste une seconde aux cas d’urgence comme celui qu’il vit actuellement ? Dépité, il décide de rentrer chez lui, espérant arriver à convaincre Raïssa de lui offrir un petit live. Tout à coup, le déclic ! Mais oui, Mike ! « Compétitif » comme il est, c’est sûr qu’il a un coffre-fort de capotes chez lui. Sans tergiverser, il sort son téléphone et lance le numéro de son ami.
- Allô, Mike ? Comment ça va, mon gars ?... Ouais, tranquille. Enfin, peut-être pas. Ecoute, j’ai besoin de toi. Et c’est plutôt urgent… Tu pourrais me filer une capote, s’il te plaît ? Ou plutôt deux ?... Ouais, un feu à éteindre chez moi… Ouais, partout on me rabâche que c’est sorti du commerce à cause d’une foutue loi… C’est possible ? Toi, t’es vraiment un type bien, tu sais…. Bien sûr que j’arrive !
A peine dix minutes plus tard, le voilà à l’autre bout du quartier, essoufflé.
- Dis donc, tu en fais une tête.
- Ouais, je viens de loin. Et pas qu’au figuré.
- O.K. Tiens, je t’ai pris un paquet de trois.
- Merci, tu me sauves. Bon, je file. Déjà plusieurs minutes que l’ « élément » m’attend.
- O.K. Amuse-toi bien. C’est pas une pute au moins…
- Quoi, qu’est-ce que tu racontes ? Je mange pas de ce pain-là. Bon, salut !
Chemin retour. Il aurait même pris un taxi pour rentrer s’il en avait croisé. Pas grave, avec son pas d’athlète, il atteint son immeuble au bout d’un temps relativement court.
Il s’apprête à entrer sous le porche lorsque le vigile l’interpelle. S’arrêter, c’est la dernière chose à laquelle il aurait pensé actuellement, vu ce qui l’attend chez lui. Oui, il est plutôt pressé de rentrer pour montrer à cette meuf ce que ça fait que de faire languir un mec pendant deux ans – ou plutôt deux siècles, dans le calcul d’un dragueur.
- Attendez, monsieur, insiste l’autre. C’est pour votre clé.
Sa clé ? C’est quoi cette histoire ?
Il s’arrête.
- Tenez, la jeune demoiselle avec qui vous êtes monté m’a laissé ça avant de partir tout à l’heure, dit le gardien en lui tendant un trousseau de clés.
Il n’en croit pas ses sens. Effectivement, c’est sa clé. Le comble du comble ! Raïssa vient de l’assommer cette fois. Non, non, non… c’est pas croyable ! Pour une fois qu’il l’avait à sa portée… Donc pendant qu’il parcourait le quartier à la rechercher du précieux sésame ouvrant la porte de sa forteresse intime, elle prenait la clé des champs en douceur. Quelle garce !
Abattu, il prend ses clés, se demandant même si cela vaut la peine de remonter. Dans un dernier sursaut d’espoir, il se dit qu’elle a peut-être eu une urgence et qu’il y a peut-être moyen de remettre ça. Aussi décide-t-il de l’appeler.
- Allô !
- Oui, t’as vu tes clés ?
- Le vigile vient de me les remettre, oui. Mais qu’est-ce que tu m’as fait ? On t’a appelé d’urgence ou quoi ?
- Non, juste que j’en avais marre de t’attendre. Tu sais, le sexe c’est comme le café. Faut pas laisser refroidir.
En plus, elle lui sort des proverbes maintenant. Un instant, il étouffe un juron.
- Mais, dis-moi, on rejouera ça bientôt, non ?
- Non, je crois pas. C’est des ocaz’ uniques, ces choses-là. Faut battre le fer pendant qu’il est chaud, dit-on.
- T’es une fausse go, tu sais ? ne peut-il contenir.
- Oui, on me l’a souvent dit. Et toi, tu sais que tu es le dernier des loosers ?

Il préfère raccrocher pour garder le minimum de politesse vis-à-vis d’elle. Et tout en se consolant à l’idée qu’il a au moins pu caresser son rêve impossible, il se dit qu’il hait vraiment les politiciens…

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