Riquelme, Les méandres de l’amour
UNE PLUME SENSUELLE AU SERVICE DE L’AMOUR
Le texte que nous avons à présenter aujourd’hui est un corpus de cinq nouvelles intitulé ‘’Les méandres de l’Amour’’. L’auteur, comme le célébrissime dramaturge français du 16ème siècle Molière, reste mussé sous le voile d’un pseudonyme : Riquelme. Pourquoi ? Nous n’en saurons dire grande chose avant que l’auteur ne nous l’explique. Ce que nous savons c’est que ce nom d’emprunt est le nom d’un séduisant footballeur argentin, réputé pour son adresse dans les coups de pieds arrêtés. Le choix de ce nom n’est certainement pas fortuit car la plume du ‘’Riquelme’’ ivoirien jouit d’une dextérité aussi probante que le pied magique de l’Argentin.
Regardons de plus près la première de couverture ; une page blanche au cœur de laquelle est inscrit un rectangle de couleur noir contenant un cœur arc-en-ciel en flamme. Cette image est révélatrice des ‘’méandres’’ et différents traits sous lesquels l’auteur nous présente l’amour. Et déjà dans son avant-propos il nous avertit : « même si dans la vie il n’y a pas que l’amour, il y a surtout l’amour. ».
D’un adolescent qui s’entiche de sa tante à ce répétiteur pris au carcan d’amour entre son élève et sa mère, en passant par cet étudiant qui surprend sa copine coquine le cocufier avec son tuteur, chaque nouvelle nous plonge au cœur du quotidien amoureux de nombreux jeunes. Riquelme feuillette la voluptueuse encyclopédie de l’Amour en s’attardant sur le chapitre juvénile. L’auteur ne résiste en aucun moment à exhiber la nudité de l’amour sur l’autel de l’hédonisme : « En moi, je sentais déjà le désir terrasser la raison. La soulevant d’un coup, je la fis s’asseoir sur le lavabo avant de faire remonter sa robe, diablement excité. Devant moi, ses seins avançaient tout droit, comme soutenus par une armature invisible… » (p.186). C’est Onfray qui a raison. La véritable philosophie doit s’atteler au concret et non s’attabler avec l’abstrait. Le véritable bonheur s’écrit avec des lettres épicuriennes. La quête du plaisir dans les corps est le gage le plus formel d’un bonheur certain. En parcourant des séquences d’amour lascivement dépeintes, l’on comprend que le plaisir d’une pomme ne se sait que quand on la croque.
Par ailleurs, la question de l’amour est seulement un prétexte, la précarité de la situation des étudiants et par ricochet de la jeunesse africaine se laisse peindre en toile de fond. La première nouvelle, par exemple ‘’Amour interdit’’, en mettant en évidence l’amour du narrateur pour une de ses tantes très éloignées, lève un coin de voile sur certains pans obscurs de nos traditions. L’auteur pose ses projecteurs sur la face de l’amour pour nous permettre de voir au-delà.
Au-delà de simples histoires, le récit de Riquelme est un discours réaliste, sociétal ; une discursivité qui ne saurait se détacher du fait social ; une écriture inspirée de la société sur la société. Le regard que l’on peut porter à ce corpus est sociocritique. Selon Duchet, c’est parce qu’il est langage, et travail sur le langage, que le texte littéraire dit le social. Et le langage dont fait usage Riquelme – à cheval sur tous les registres de la langue – ouvre une brèche assez béante sur la compréhension et la profondeur de son discours.
Le style dans lequel s’exprime cet écrivain « fantomatique » n’est certes pas fantasmagorique, mais quelque peu fantaisiste. Il a l’art d’alterner rêve et réalité pour expliciter des faits plausibles. Riquelme détient la maîtrise de dire les choses avec précision et finesse. La galanterie qui découle de sa plume expose clairement la plausibilité du charme de celle-ci. L’habileté et la lucidité avec lesquelles il décrit toutes ses scènes laissent le lecteur pantois et époustouflé ; celui-ci vit les actions au fil de l’écriture ; et comme par enchantement l’auteur use de la narration à la première personne pour s’exprimer. Du coup le lyrisme que comprend le livre est poignant. Jamais le narrateur ne donne son nom en se présentant. C’est comme s’il était nous, vous, le lecteur. Ce narrateur anonyme sait décrire les scènes d’amour avec une délicatesse de chat : « Entre-temps, elle avait enlevé son habit et son soutien-gorge inutiles depuis bien longtemps. Puis elle releva légèrement le bassin pour m’aider à faire glisser plus aisément le jeans le long de ses belles jambes. Avec à présent pour seul vêtement un léger slip, elle écarta grandement les cuisses en une invite indéclinable… elle m’emprisonna dans l’étau de ses cuisses avant de se mettre à onduler vigoureusement du bassin tandis que ses caresses continuaient de me fouetter le sang.» (p.65).
L’emploi d’un fort taux de connecteurs d’opposition notamment ‘’ Mais’’ est la preuve que l’amour est un sentiment qui rame souvent à contre-courant du sens de la raison. Inconsciemment, l’auteur laisse entrevoir cette antinomie de l’amour qui n’est qu’un secret de polichinelle. L’amour n’est pas seulement plaisir, il est parfois déception, chagrin et douleur ; matière à une tristesse prononcée qui ne dit pas son nom. « L’amour… On en rêve tellement. Mais au fond, ce n’est généralement qu’un sentiment vicieux qui, telle une sangsue, s’agrippe au cœur, y injectant de grosses doses de déception et de chagrin… » (p.199).
Le recueil de Riquelme, bien que volumineux (305 pages), se laisse lire commodément. La sensiblerie du thème et la sensualité de la plume sont une invite à ne point décliner.
Abdala Koné
Riquelme, Les méandres de l’amour ; les éditions du net ; octobre 2014 ; 305 pages.