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lundi 5 août 2013

Sortir de la dépendance...




 
« Son excellence Monsieur le Président de la République, (Je citai ensuite tous les autres officiels.)… chers amis jeunes, (Une nouvelle envolée de hourras m’obligea à interrompre pendant quelques secondes mon propos.) c’est un honneur incommensurable pour moi de prendre la parole en ce jour anniversaire de notre pays. Notre chère Côte d’Ivoire a aujourd’hui cinquante ans et je me réjouis de tout l’engouement qu’il y a autour de cet événement. Cinquante ans dans la vie d’une nation, c’est un bel âge pour faire le bilan. Au-delà de toute cette atmosphère festive, il importe en effet de jeter un regard rétrospectif sur la marche de notre pays. C’est le lieu de saluer la mémoire du Père fondateur qui, à travers des choix certes pas toujours unanimes, mais judicieux et parfois pragmatiques, a jeté les bases d’une Côte d’Ivoire forte et prospère. (Le moment le plus important de mon discours était arrivé : là où les autres s’étalaient en dithyrambes à l’endroit du Président de la République, moi, j’allais passer à l’offensive.) Mais, qu’avons-nous fait de l’héritage du « vieux » ? demandai-je à brûle-pourpoint en haussant volontairement le ton. Qu’on m’excuse si je peux paraître rabat-joie, mais c’est pour trouver la réponse à cette question fondamentale que la jeunesse ivoirienne m’a donné mandat pour parler et agir en son nom. (La clameur qui s’éleva depuis le pont était sans précédent de toute ma mémoire de défenseur des droits. A l’inverse, les officiels assis à quelques mètres devant moi affichaient des mines inquisitrices.) Vous dites des jeunes de ce pays qu’ils sont irresponsables, qu’ils sont immatures, qu’ils sont fous… Tout cela est peut être vrai. Mais, ces qualificatifs ne valent-ils pas également pour vous ? (Echange de regards choqués aux premiers rangs contrastant avec la frénésie des jeunes. J’avais en tout cas décidé de profiter de cette tribune inespérée pour dénoncer avec la dernière énergie l’attitude trop souvent égoïste de nos dirigeants. Et ceux qui disaient m’apprécier pour ma courtoisie allaient devoir pendant un moment se faire à la manifestation – heureusement assez rare – de ma bête intérieure.) Croyez-vous être mieux que nous ? poursuivis-je, la langue plus débridée que jamais. Ne nous avez-vous pas appris ces dernières années que la conquête ou la conservation du pouvoir par tous moyens passait avant les intérêts nationaux ? D’ailleurs, puisque vous aimez tant faire de l’histoire, au moment où le peuple était inconsolable au soir du 7 décembre 1993, ne battiez-vous pas quant à vous tous les records olympiques de vitesse pour vous précipiter au palais vous disputer le pouvoir ? Qu’avez-vous ensuite fait du prestige, de la renommée de notre pays ? De terre de paix, nous en sommes bien arrivés aujourd’hui à une véritable jungle. Oui, en l’espace de quelques années, nous avons connu quasiment tout ce que ce monde renferme comme horreurs. Coups d’Etat, rébellions, conflits armés, escadrons de la mort, charniers, assassinats, enlèvements,… La liste, vous la compléterez vous-même. Tout ce pacifisme qui nous différenciait de tant de nations et qui nous valait le respect du monde entier s’est envolé d’un seul coup sans doute pour rejoindre son initiateur. Par vos actes, vous avez bien montré au Père fondateur de la nation que vous n’aviez cure de sa culture de la paix. Cela ne vous paraît-il pas en effet paradoxal qu’il existe un prix international pour la recherche de la paix du nom de notre premier Président et que justement le pays qu’il nous a laissé soit aujourd’hui en proie à des actes belliqueux ? Apparemment, vous n’avez pas encore eu le temps d’y réfléchir. Au contraire, pour vos intérêts personnels, vous ne savez faire des ivoiriens que des martyrs. Et pour nous qui avons la chance d’être encore en vie, l’avenir est on ne peut plus ombrageux. Avez-vous jamais appris que politique et humanisme sont deux notions qui ne s’excluent pas forcément ? Sinon, essayez à tout le moins de concilier vos fonctions avec l’intérêt suprême de la nation qui est censé les sous-tendre. Trop de sang a coulé pour rien dans ce pays. Et croyez-moi, le sang des innocents finit bien souvent, on a d’ailleurs pu le noter déjà sous d’autres cieux, par réclamer celui de ceux qui le répandent. J’ose espérer que dans notre cas, la guerre de laquelle nous sortons aura vu couler les dernières gouttes de sang que cette terre absorbera jamais aussi gratuitement. Ce cri de cœur est bien entendu valable pour ceux des Etats africains ici représentés où la violence est devenue le mode d’acquisition par excellence du pouvoir. Quant à ceux qui n’ont jamais fait la sombre expérience de la guerre, j’espère qu’ils s’en garderont à tout jamais, car il n’y a que ceux qui ont connu la guerre qui savent le mieux le prix de la paix. (Le conciliabule que je vis alors au bas du podium entre les préposés à l’organisation et les membres de la sécurité me fit me dire que mon temps de parole était certainement épuisé. Ou plutôt, c’est la trajectoire de mon propos qui dérangeait. Dans tous les cas, je n’entendais pas lâcher le micro sans avoir exprimé tout le fond de ma pensée. Là-dessus, les plus observateurs avaient sans doute remarqué que depuis la « déviation » de mon discours, j’avais abandonné mes papiers, ne parlant plus qu’avec le cœur. D’ailleurs, mes collaborateurs qui avaient une copie du texte initial devaient être plus que déroutés.)
Par ailleurs, votre insouciance sur le terrain politique influe plus ou moins directement sur les autres domaines de la vie de l’Etat. Qu’est en effet devenue notre économie ? De notre état de relative bonne santé financière dans les deux premières décennies de notre indépendance, nous en sommes aujourd’hui, sinon dans le coma, à tout le moins sous sérum. Comment en sommes-nous arrivés là ? Certes, et c’est l’argument qu’on nous brandit depuis des siècles, les grandes puissances et les organisations internationales y sont pour quelque chose. Cela a indubitablement une part de vrai et là-dessus, messieurs le Directeur Général du FMI et le Président de la Banque Mondiale ici présents, pour ne citer qu’eux, ne nous diront pas le contraire. Mais, nous peuple ivoirien et peuple africain en général n’en sommes pas plus excusables. Si on a réussi à nous mettre sur la potence, c’est parce que nous avons nous-mêmes fourni la corde, mais en plus gentiment offert le cou. A la lecture des divers accords économiques signés par nos Etats avec l’Occident, on a tous la même exclamation : quel manque de vigilance ! Ou tout simplement, que de manque de caractère, de réaction voire de bon sens ! Plus largement, si la mondialisation nous évite de vivre en autarcie en nous connectant au reste du monde et donc à l’évolution, il nous importe d’ouvrir davantage les yeux sur les pièges qu’elle recèle. Coopération d’accord, mais prudence d’abord. (Assis au second rang, monsieur le ministre français des affaires étrangères en fut saisi d’une brusque quinte de toux.) De nombreux Etats, notamment asiatiques, qui d’ailleurs étaient à la traîne il y a quelques décennies, ont pu s’en tirer à bon compte. Pourquoi pas nous ? Arrêtons maintenant d’accuser les blancs qui n’ont su que profiter de nos propres turpitudes. On va même jusqu’à rendre le bon Dieu responsable de nos malheurs…, observai-je avec un triste sourire. Il est temps de se remettre en cause, car les origines de notre marasme économique sont aussi et surtout endogènes. Que de ratés en effet dans la planification de nos stratégies de développement ! Comment voulez-vous que nos produits d’exportation acquièrent réellement de la valeur ajoutée si aucune politique viable d’industrialisation n’est pensée a fortiori mise en place ? J’ai mal de voir que les ivoiriens, premiers producteurs de cacao au plan mondial, achètent hors de prix les produits qui en dérivent alors que les occidentaux, dont plusieurs d’ailleurs n’ont jamais vu de toute leur vie une fève de cacao, bénéficient en la matière de conditions plus avantageuses. Par ailleurs, qu’est-ce qui nous empêche tant d’intensifier la coopération sud-sud ? De toute évidence, les pistes sont nombreuses pour nous remettre sur les rails de la croissance et en la matière je ne suis pas plus avisé que les éminents économistes que comptent nos pays. Mais trop d’idées ont été émises qui sont restées dans les tiroirs. Il est temps de faire preuve de plus de volonté. Et passer à l’action suppose que nous nous débarrassions au préalable de ce coriace adversaire qui nous maintient les mains dans le dos : j’ai nommé la corruption. (Les jeunes gens poussèrent de nouvelles clameurs tandis que mes interlocuteurs immédiats n’en finissaient pas de rajuster qui leurs cravates, qui leur position dans les fauteuils rembourrés. D’ailleurs, alors que j’allais entamer le développement du fameux sujet, je vis un homme en costume gravir lestement les marches de l’estrade pour foncer sur moi. Mais, persuadé qu’on n’oserait pas me jeter du podium devant toutes les caméras nationales et internationales qui retransmettaient la cérémonie en direct, je résolus de ne me soucier aucunement de cette intervention.)
- Monsieur, veuillez conclure, fit-il en se penchant à mon oreille, sur un ton qu’il voulait sévère.
Je n’allais sûrement pas m’arrêter en si bon chemin…
- La corruption est l’un des maux, sinon le plus grand mal qui gangrène non seulement notre économie, mais toute notre vie, martelai-je sans le moindre regard pour l’agent de sécurité qui, embarrassé, finit par redescendre sans doute pour aller chercher du renfort ou à tout le moins demander de nouvelles instructions. Et il nous appartient, vous les premiers, de tout mettre en œuvre pour éradiquer ce fléau. Trop de détournements de deniers publics, trop de rackets sur nos routes et à nos frontières, trop de pots-de-vin et de dessous-de-table dans nos administrations… Le tout sur un beau fond d’une impunité basée elle-même sur des immunités qu’on se forge bien trop souvent en marge des dispositions légales. Et la loi, Dieu seul sait si nos magistrats en sont vraiment les gardiens… enchaînai-je pour savourer ma petite victoire sur le service de sécurité.
Bref, au delà de ce tableau politico économique des plus sombres, le constat sans doute le plus alarmant réside au niveau social, car si le peuple est dans toute démocratie l’incarnation du pouvoir constituant originaire, les peuples africains en général ne servent que de souffre-douleur aux gouvernants. Comment pouvez-vous mépriser de la sorte ceux pour qui vous prétendez exercer le pouvoir ? (A défaut d’une réponse à cette question, j’obtins de nouvelles clameurs d’encouragement.) Essayez par moments de vous rappeler sinon la totalité, au moins l’essentiel vos promesses électorales. Ce peuple qui vous a donné mandat pour le diriger n’a sûrement jamais demandé le sort qui est le sien à l’échelle du continent. Ici, nous ne demandons pas la dolce vita, mais un minimum de dignité dans nos vies quotidiennes. Ici nous voulons vivre et non plus survivre. Arrêtez donc de vous servir du peuple au lieu de le servir comme vous le promettez sans cesse avec tant d’emphase. (Le volet social était à n’en point douter le plus préoccupant, car toutes mes phrases étaient à présent ponctuées de hourras des plus fanatiques.) Nous avons besoin de centres de santé non seulement en quantité, mais de qualité. Nous ne supportons plus, surtout dans nos campagnes, de voir mourir nos parents entre nos mains seulement parce que nous avons à les transporter sur des dizaines voire des centaines de kilomètres avant le premier dispensaire. Cela est inadmissible que seuls les fonctionnaires – et pas tous d’ailleurs – bénéficient d’une assurance maladie alors qu’en sont privés les paysans qui produisent plus de la moitié de la richesse nationale ainsi que les autres catégories sociales dont les artisans, les élèves et étudiants ; tous ces infortunés constituant d’ailleurs la quasi-totalité de la population nationale. Nous exigeons également davantage d’infrastructures dont prioritairement des routes, car comme on a coutume à le dire : « La route précède le développement. » Permettez à nos parents paysans d’écouler plus facilement leurs produits en désenclavant nos villages. Nos agglomérations ont besoin d’être approvisionnées en eau potable. Les maladies hydriques font beaucoup trop de victimes parmi nous pour que nous continuions à créer les conditions de leur propagation. Dans la même optique, nous revendiquons un environnement plus sain, car de tous les produits vitaux dont a besoin notre organisme, l’air est à n’en point douter le seul qui soit à la portée de tous. Organisez alors un enlèvement et un recyclage plus efficaces des ordures  ménagères et industrielles pour que nous ne respirions plus à longueur de journée ces horreurs nauséeuses. D’ailleurs, les immondices d’ordures n’ont rien de décoratif. Et si vous pensiez le contraire, c’est que vous manquez cruellement de goût. Nos villes et nos villages ont aussi besoin d’être électrifiés. Comment comprendre que nous ayons tant de barrages hydroélectriques pour ne citer que cela et que nous soyons pour la majorité encore à nous chercher dans le noir ? Pire, nous même qui nous croyions jusque là à l’abri des ténèbres devons composer aujourd’hui avec sans doute le pire délestage que notre pays n’ait jamais connu. D’autre part, et cela est incontournable, les enfants de Côte d’Ivoire veulent aller à l’école. (Après cette énième exigence, j’entendis malgré la relative distance me séparant de la lagune, des voix scander mon nom. Mon propos devait leur sembler un discours de campagne électorale. D’ailleurs, d’après les regards des dirigeants de partis politiques que je pouvais apercevoir, ceux-ci me considéraient certainement comme un hypothétique adversaire pour les futurs combats électoraux. Quoi qu’il en fût, je n’avais guère d’intérêt pour des postes susceptibles d’altérer mon jugement et mes convictions personnelles. Tout ce qui m’importait, c’était de remettre à la lumière du jour des questions qu’on tentait perfidement de faire basculer dans l’ombre.) « L’éducation, disait un sage, est la clé du développement humain et de la construction de l’avenir. Si riche que puisse être une nation, si ses citoyens ne reçoivent pas d’éducation, elle n’a pas d’avenir. » Il faudrait pour ce faire construire plus d’écoles et au surplus reformer le système éducatif lui-même depuis la maternelle jusqu’au supérieur pour une école plus performante. Que les acteurs du monde éducatif prennent leurs responsabilités. Que les professeurs par exemple se contentent d’assumer leur fonction d’enseignement au lieu de donner dans le mercantilisme. Mon neveu me confiait récemment qu’à l’oral du baccalauréat, l’un des examinateurs lui a proposé la note de 15/20 contre la somme de cinq mille francs. (Sur ces mots, des murmures houleux s’emparèrent de l’assistance.) Où est donc passé ce culte de l’excellence, de la méritocratie ? N’y a-t-il donc plus de place dans ce pays que pour le mieux offrant ? Quelle est donc cette école qui, plutôt que le temple du savoir, tend à en devenir celui de la médiocrité et de la complaisance ? Il faudra également trouver la meilleure adéquation possible entre la formation et l’emploi. Avez-vous idée du nombre de jeunes titulaires pour la plupart de diplômes universitaires, mais qui sont réduits, pour les plus vertueux, à exercer des métiers informels ? Vous en avez sans doute connaissance. Mais ce qui est certain, c’est que vous n’en avez cure. Vous êtes pourtant prompts à dire non sans une hypocrisie mal déguisée que l’avenir appartient à la jeunesse. Mais, quel avenir entendez-vous nous confier lorsque nos conditions d’études et d’insertion sont si calamiteuses ? Croyez-vous que vous seriez là aujourd’hui, dans les fonctions que vous occupez, si l’on vous avait traité de la sorte pendant et après votre formation ? Si vous voulez que nous prenions valablement la relève, il faudra veiller à nous en donner les armes en créant non seulement le cadre mais aussi les conditions d’une formation de qualité. Bien sûr, on nous dira que l’Etat ne peut pas employer tout le monde. Créez alors les conditions de l’émergence d’un secteur privé plus conséquent, voire d’un solide partenariat Etat-Privé. De même, l’on devra plus frontalement envisager la question de la réintégration ou de la reconversion des jeunes non scolarisés ou déscolarisés. Cela, en plus de participer au dynamisme de la société nous évitera pas mal de vices. Cela dit, je ne saurai achever mon propos sans m’adresser à vous, mes amis jeunes. (Les hourras en retombèrent d’un seul coup. Mais je n’en étais pas moins déterminé à être impartial. Il fallait absolument mettre chacun face à ses devoirs.) L’avenir nous appartient, dit-on. Mais est-ce avec le comportement  qu’on nous connaît que nous rendrons le futur radieux ? Sûrement pas. Arrêtons alors de donner raison à ceux qui nous traitent d’irresponsables et même de dangereux. Il est temps de faire preuve de plus de maturité. Quels sont ces élèves et étudiants qui œuvrent, avec une imagination parfois démoniaque, à démotiver ceux-là même qui ont à charge de leur inculquer le savoir ? Quels sont ces jeunes pour qui la violence est devenue le mode le plus usuel de communication ? J’ai mal de voir aujourd’hui des jeunes défier l’autorité et aller même dans certains cas jusqu’à s’y substituer. Quel avenir croyons-nous que nous nous définissons lorsque notre premier réflexe est de porter main à nos parents, à nos aînés, à nos compagnons ? Quel avenir croyons-nous qu’il y a dans la drogue, l’alcool, la prostitution, la criminalité, le vandalisme… et j’en passe ? Que gagnons-nous à nous attaquer à la moindre occasion à la chose publique alors que nous en sommes les premiers bénéficiaires ? Pourquoi nous plaignons-nous par exemple de l’irrégularité des bus quand nous sommes prêts à y mettre le feu à la moindre saute d’humeur ? A la vérité, c’est tout le système des valeurs qui est en train de s’effondrer. S’il n’est d’ailleurs déjà dans la poussière… Si nous aimons vraiment notre pays comme nous le prétendons tant, apprenons à faire preuve d’un peu plus de civisme. Réfléchissons une seconde avant d’exécuter tout ce qu’on nous demande et ne nous privons pas de faire usage en certaines circonstances de notre esprit critique. Arrêtons de servir de bétail électoral ou de « main d’œuvre » pour de sales besognes. Si demain nous ne voulons pas faire pire que ceux que nous critiquons aujourd’hui, c’est dès maintenant qu’il faut apprendre à bien s’orienter. La sagesse n’est pas une vertu qui rime forcément avec les cheveux blancs, car comme le dit Le Cid de Corneille : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années… » Donnons-nous donc de la valeur et on minimisera nos défauts… Bref, il faudrait que nous méritions qu’on nous passe le flambeau sinon, croyez-moi, nos aînés préféreront bien l’éteindre à défaut de ne plus pouvoir le porter. (Je pris quelques secondes pour reprendre mon souffle. Au bas du podium, les hommes en costume ne paraissaient plus vouloir m’en faire descendre. Dans le public même, ce que je lus dans les regards me sembla tout sauf de l’impatience a fortiori de l’antipathie.)
Nous serions encore ici demain si on voulait faire le diagnostic complet de nos maux. Néanmoins, je me devais d’en faire ressortir sans doute les plus saillants. Le bilan de notre cinquantenaire, c’est hélas cela. Il faut saluer bien sûr les efforts qui ont été faits et qui continuent d’être faits pour nous remettre dans le sens de la marche. Mais tout cela demeure fort insuffisant et il reste tant à faire. En gros, c’est à une prise de conscience collective que j’appelle les ivoiriens et l’ensemble des africains. Ayons à l’esprit que les clés de notre développement sont entre nos propres mains. Nous avons les faveurs de la nature presque partout sur le continent. Nous avons en plus aujourd’hui des ressources humaines à même de les mettre en valeur. Tâchons d’en tirer le meilleur parti pour réduire voire rattraper notre retard sur le progrès. Ne donnons pas raison à cet homme que j’ai entendu une fois dire que les africains ont été créés pour distraire le monde, car il n’y aurait que sur le plan culturel que nous ayons quelque chose à offrir. Tâchons de nous affirmer désormais sur d’autres plans. La Côte d’Ivoire des cinquante prochaines années doit absolument être aux antipodes de celle d’aujourd’hui. A l’horizon 2060, l’Afrique toute entière ne doit plus ressembler à ce fatras de vices, de fléaux et de calamités. Sinon, la rancœur de nos descendants nous rattrapera même dans nos tombes.
Je tiens enfin à signaler que tout ce que j’ai pu dire à ce micro n’est destiné à servir aucune cause politique. Je ne suis ni l’émissaire ni l’ennemi de personne. Mais je me devais en tant que porte-parole de la jeunesse de dénoncer tout ce qui hypothèque notre avenir, car j’espère pour ce pays des lendemains meilleurs. Pardon si j’ai un peu gâché la fête. Vive la Côte d’Ivoire indépendante. Vive l’Afrique. Je vous remercie.

Extrait de "Pour des lendemains meilleurs", in 50 ans d'indépendance de la CI en 10 nouvelles, Fratmat éditions, Abidjan, 2010.